Temps mort – de Eve Duchemin

vendredi 2 juin à 21h et samedi 3 juin à 17h

1h 58min / Drame De Eve Duchemin

Avec Karim Leklou, Issaka Sawadogo, Jarod Cousyns

SYNOPSIS
Pour la première fois depuis longtemps, trois détenus se voient accorder une permission d’un week-end. 48h pour atterrir. 48h pour renouer avec leurs proches. 48h pour tenter de rattraper le temps perdu.
Anecdotes

Parcours atypique
Eve Duchemin a quitté Paris pour la Belgique à dix-huit ans. Sur place, elle a assisté à plusieurs luttes sociales fortes qui l'ont beaucoup marquée. Elle a ainsi eu envie de filmer ces gens qui se battent pour leurs conditions de travail. La réalisatrice explique : "Je faisais sans le vouloir mon éducation sociale et politique, caméra à la main. J’ai ensuite étudié à l’INSAS, une école de cinéma bruxelloise, en section image. Puis j’ai réalisé des documentaires pendant une quinzaine d’années."

"J’aime surtout filmer les gens, leurs contradictions, et ainsi dessiner leur portrait. En leur parlant derrière la caméra, et en les filmant d’une manière très personnelle, intuitive et charnelle. Ce sont les personnes à la marge qui me bouleversent le plus. Ceux qu’on regarde trop vite ou pas du tout. Le documentaire permet de prendre le temps de regarder les êtres, de récolter leurs ambivalences et d’offrir au spectateur la possibilité de s‘identifier à eux, de partager un moment de leur vie."

"Je suis toujours convaincue que la beauté que je décèle chez les gens que je filme émergera à l’image. J’ai surtout à cœur de rendre compte de la complexité des êtres, à une époque qui a tendance à les catégoriser et nous faire oublier que nous sommes tous multiples."

Naissance du projet
Eve Duchemin a rencontré Marie Lafont à une fête, par hasard. Lorsque la cinéaste a appris qu'elle dirige une immense prison pour hommes, l’envie de s'y rendre pour y filmer les détenus l'a saisie et Marie a pu lui ouvrir les portes de ce milieu carcéral :

"J’ai pu, à ses côtés, y faire deux films, un du côté de la direction, l’autre du côté des détenus. J’ai suivi les pas de cette directrice de prison pour hommes mais j’ai senti que mon dispositif commençait à se cogner à ses propres limites."

"C’était un véritable combat de montrer les fêlures de cette femme soumise aux injonctions contradictoires de l’administration pénitentiaire. Et nombre de surveillants précaires travaillant à ses côtés ont refusé d’être filmés", se rappelle la cinéaste. Elle poursuit :

"J’ai ressenti pour la première fois une grande frustration d’être en permanence soumise au réel et à ses exigences, alors qu’il était nécessaire pour moi de montrer que tous, travailleurs comme détenus, payent un prix fort en milieu carcéral, qui est un monde d’une rare violence."

Pas de documentaire
Un jour, un jeune détenu que Eve Duchemin connaissait bien n’est pas rentré de sa permission. La réalisatrice s'est alors mise à fantasmer sur ce qui pouvait se passer dans la tête d’un jeune homme de vingt ans qui vient de passer quatre ans en prison et à qui l’on permet de passer deux jours en liberté, alors qu’il n’a pas achevé sa peine. La cinéaste développe :
"Cette expérience doit être aussi intense que cruelle. Mais il m’était impossible d’imaginer filmer un détenu dans ses deux seuls jours de liberté conquise. Ma caméra aurait-elle été légitime au moment où il aurait embrassé sa mère ? Et qu’aurait-elle pu saisir de sa sexualité bridée ? Cette situation est trop intime et physique pour que le documentaire y trouve sa place éthiquement."
"Mais elle est intéressante : comment ces corps contrits, qui se retrouvent jetés dans la société pour quarante-huit heures, vont-ils se comporter ?"

Un projet de longue date
La cinéaste Eve Duchemin a passé cinq ans à écrire Temps Mort et à imaginer ces trois personnages masculins, d’âges et de parcours différents, qui ne sont ni de grands bandits, ni des terroristes, ni des monstres : "Ce ne sont que des hommes, coupables certes, mais qui, comme nous, ont une vie, une famille, un passé. Je me suis dit : lâche-les et regarde où ils vont."

"Il faut savoir que rentrer en prison représente tout un processus, car on trouve une porte tous les vingt mètres, dont l’ouverture dépend du bon vouloir d’un surveillant. C’est un endroit très oppressant. Et il était exaltant pour moi d’imaginer cette fois des personnages qui en sortent. Cela me réjouissait de les filmer en train d’ouvrir cette ultime porte et de se retrouver à l’air libre."

Code couleurs
Eve Duchemin a opté pour un code couleurs discret par personnage pour aider le spectateur à trouver ses repères lorsque le film passe d’une histoire à une autre, ce qui a logiquement influé sur le choix des décors et des costumes. La réalisatrice raconte à ce sujet : "Chez les Bonnard, nous étions dans les rouges et les marrons ; chez Hamousin, dans les bleus qui se dirigent vers l’ocre ; et chez Colin, tout est plus flashy."

"Cela a donné une cohérence à l’image et a permis d’apporter de la beauté à l’esthétique du film. Mais, issue du tournage documentaire, je ne suis pas une obsédée de la technique parfaite. Au contraire, j’aime sentir la fragilité, le débordement, l’image généreuse qui cherche à voir, à comprendre. Laisser vivre les perturbations lumineuses qui participent au feu d’artifice permanent à l’écran, et qui fait écho aux accidents de la vie."

Choix de mise en scène
Eve Duchemin aime l’idée que le spectateur soit obligé de faire un corps-à-corps avec les détenus sans pour autant que la mise en scène soit voyeuriste. La cinéaste avait envie de partager ce qui la touche chez ses personnages : leur manière de respirer quand ils sont incapables de répondre à une question et leurs gestes. Elle explique :

"J’aime être proche des gens que je filme. Nous avons utilisé des focales proches de l’œil humain, afin qu’on soit dans un rapport d’égalité avec les personnages. Ils ne sont pas des rats de laboratoire qu’on observe de loin se débattre ; on est avec eux, embarqués. L’idée est de faire leur connaissance et non d’être d’accord avec eux."

"J’ai cédé la caméra pour être au plus près des acteurs et j’ai travaillé avec le chef-opérateur Colin Lévêque. Il a su danser à ma place avec tous les personnages invités à mon bal. Ensemble nous avons trouvé un langage qui allie mon amour pour la caméra épaule issue de ma pratique documentaire et son envie d’une certaine tenue fictionnelle."

Dédicace
Temps Mort est dédié au producteur belge Bernard De Dessus les Moustier, qui était le directeur de production du film et qui est décédé subitement peu avant le tournage. Eve Duchemin se souvient : "Cela nous a tous bouleversés. C’était un monsieur merveilleux. La préparation d’un film – son casting, ses repérages, ses répétitions – représente la moitié du travail. Cette préparation a permis que nous puissions pleinement investir le moment présent sur le tournage. L’expérience de ce film fut très belle et je lui dois beaucoup, moi qui ne connaissais rien à la fiction et à la direction de plateau. Ensemble on se disait que préparer le film, c’était comme préparer un grand repas avec des invités choisis avec amour. Temps mort fut un merveilleux banquet."

Quelques critiques presse

Femme Actuelle par La Rédaction - L'excellence des acteurs rend l'ensemble aussi crédible que prenant.

L'Obs par Jérôme Garcin - Un premier film bouleversant, porté par trois acteurs exceptionnels et signé d’une documentariste de la révolte et de la précarité.

La Voix du Nord par Christophe Caron - Trois comédiens impériaux. Bouleversant.

Le Parisien par La Rédaction - Sombre malgré une lueur d’espoir finale, ce long-métrage est porté par trois acteurs magnifiques. Karim Leklou qui incarne un homme tendre et inquiétant, parfois terrifiant tant on craint que sa souffrance retenue n’explose tout à coup, est d’une intensité incroyable.

Les Echos par Olivier De Bruyn - Aux antipodes des poncifs qui encombrent si souvent le genre du film de prison, la documentariste Eve Duchemin signe une première fiction intense et fiévreuse qui prohibe la complaisance. Prometteur malgré quelques maladresses.

Marianne par Olivier De Bruyn - Un coup d’essai convaincant.

Télé 7 Jours par Isabelle Magnier - En ne disant rien de ce qui les a conduits derrière les barreaux, la réalisatrice donne à voir l’humanité de ses personnages, que l’on ne s’attendait pas à trouver si magnétiques et émouvants.

aVoir-aLire.com par Claudine Levanneur - Un film fort et sans concession qui ouvre la réflexion sur le bien-fondé de notre organisation carcérale.

Cahiers du Cinéma par Zoé Lhuillier - En cadrant le corps des personnages au plus près, le moindre geste prend l'ampleur d'un rituel, dans un quotidien baigné d'une violence légale et scandé par des exercices de virilité Néanmoins, le dispositif narratif vient se heurter à l'écueil d'un scénario faussement choral².

Culturopoing.com par Noëlle Gires - Le film n’a rien d’un aride manifeste social. La fragilité de ses personnages aux prises avec une dangereuse liberté, la tension toujours à l'œuvre en font un tissage de portraits sensibles.

Le Figaro par O. D. - Jarod Cousyns et Karim Leklou sont parfaits dans leurs rôles respectifs, mais c'est l'acteur vétéran Isaka Sawadogo qui emporte le morceau. L'ensemble est cohérent, bien mené, mais on reste quand même sur sa faim...

Le Journal du Dimanche par Baptiste Thion - Un récit tendu, parfois âpre, mais touchant.

Les Fiches du Cinéma par Antoine Corte - La réalisatrice étudie minutieusement la problématique de la réinsertion, à travers trois parcours fictionnels de détenus en permission. Le film n’arrive cependant pas à créer une communion entre les histoires, créant une narration d’une efficacité inégale.

Marie Claire par Maroussia Dubreuil - Émouvant.

Première par Thierry Chèze - Trois histoires intenses - dont chacune aurait pu mériter un film à elle seule - portés par trois interprètes impressionnants, en tête desquels Karim Leklou qui poursuit son début 2023 de feu.

Télé Loisirs par S.O. - Ces trois histoires donnent l'impression que Temps mort contient trois films en un, ce qui est à la fois sa richesse et sa limite.

Télérama par Samuel Douhaire - Au risque d’un scénario un peu trop mécanique dans sa gestion de l’alternance entre leurs histoires respectives, aussi secouantes et, parfois, poignantes soient-elles. Mais la réalisation au plus près des corps et des visages est efficace, autant dans les scènes sous haute tension que dans les moments plus apaisés.

L'avis du projectionniste

Le film sonne juste, il suit la trajectoire de trois détenus en permission pour un week-end. D'âge, d'origine et de milieux différents, ils purgent tous trois une peine plus ou moins longue pour un motif dont on ne saura quasiment rien. Ce film dit la difficulté de se réinsérer, pas seulement socialement et professionnellement, mais aussi et surtout dans le cadre familial et l'impossibilité de "rattraper" ce qui a été mal fait ou qui est perdu.

J’ai trouvé ce film réussi avec un casting de qualité